ACAMS Today a eu la chance de rencontrer l’ancien commissaire de police Ray W. Kelly pour évoquer sa longue carrière dans le service public, son approche en matière de lutte anti-terroriste et ce qu’il appelle les 3 « C ».
ACAMS Today: Pourquoi avoir voulu entrer dans la police?
Ray Kelly: Mon entrée dans la police s’est effectuée dans le cadre d’un programme d’apprentissage à mi-temps chez les cadets de la police de New York. L’objectif était de permettre à des diplômés universitaires d’intégrer le département. Je suis donc devenu policier de la ville de New York, une fois le programme terminé. La possibilité de pouvoir changer les choses, l’enthousiasme soulevé par cette expérience et l’étendue de ce programme m’ont convaincu que cette carrière était faite pour moi.
AT: En quoi votre parcours au sein des Marines américains et votre expérience de la guerre au Vietnam ont-ils influencé vos choix ultérieurs, aussi bien au plan professionnel qu’académique?
RK: J’ai souvent dit que tout ce que j’avais appris, ou presque, en matière de meneur d’hommes, remontait à mon temps dans les Marines. Le corps des Marines est, entre autres choses, une organisation pédagogique formidable qui insiste sur ses valeurs clefs et vous donne les moyens de les appliquer dans le monde réel. Les leçons apprises en matière de gestion de marines en situation de combat sont de grande valeur.
AT: Lorsque vous avez été nommé commissaire du département de la police de New York pour la seconde fois en 2002, sous l’égide du Maire Michael Bloomberg, vous avez établi ce que vous nommez les 3 « C ». De quoi s’agit-il et en quoi ont-ils influencé votre mandat de commissaire?
RK: Les trois « C » (qui étaient les mots d’ordre durant mon mandat), désignaient le Contre-terrorisme, l’éradication du Crime et les relations Communautaires. Notre administration a démarré dans les trois mois et demi qui ont suivi les attentats de septembre 2001. Nous savions que nous devions en faire plus pour protéger la ville de New York. Nous avons donc mis en place notre propre bureau de lutte anti-terroriste, optimisé notre collecte de renseignements et amélioré nos processus de gestion et d’analyse de ces informations. Nous avons également embarqué des experts mondiaux à bord pour nous aider dans notre tâche. Nous nous sommes attaqués au crime en alliant les nouvelles technologies à la vigueur et l’expertise des officiers de police new yorkais. Le taux de délinquance et plus particulièrement le nombre d’assassinats ont drastiquement chuté, à des niveaux jamais égalés, grâce à la mobilisation de jeunes policiers fraîchement diplômés sur l’affaire « Cut Crew » (une affaire de gang).
L’un des 3 « C » que vous mentionnez concerne les relations Communautaires. Comment d’autres services de mise en application de la loi et les institutions financières peuvent-elles nouer des relations satisfaisantes dans leurs propres communautés?
RK: Notre troisième « C » (les relations entre les Communautés), c’est quelque chose qui doit être travaillé chaque jour, par tous les membres du département. Les tensions existent toujours à l’état latent, vu ce que l’on demande aux officiers de police: avoir parfois recours à la force (et même aller jusqu’à donner la mort), distribuer des amendes, arrêter des individus, et plus généralement, être porteurs de mauvaises nouvelles. La ville de New York est la ville la plus diversifiée au monde et c’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés dans une campagne de recrutement d’officiers de police originaires de 106 pays différents. Le département s’est vu doter d’une diversité jamais égalée auparavant au sein des forces de l’ordre et cela nous a aidé à gérer la complexité inhérente à la ville de New York.
AT: Quelles autres méthodes et tactiques avez-vous adopté en votre qualité de commissaire de New York en matière de lutte contre le terrorisme?
RK: L’une des nombreuses initiatives qui nous a aidé à protéger la ville contre les attaques terroristes a été de poster des officiers de police dans des pays étrangers. Grâce à la diversité présente au sein du département, nous avons été en mesure d’assigner des officiers de police à l’étranger. Ce réseau a été extrêmement utile pour fournir de l’information en temps réel relative aux activités terroristes à travers le monde. Nous avons amené au sein du département des personnes faisant état d’une expérience fédérale, qui nous ont apporté des compétences uniques. Cela incluait d’anciens agents du FBI, des personnes de la CIA, une agence de renseignements de la défense, des agents en charge de la mise en application de la lutte contre la drogue et des substituts de procureurs américains.
AT: Dans votre livre, Vigilance, vous mentionnez 16 tentatives d’attentats déjouées par les forces de l’ordre et dont la plupart des gens n’a même pas entendu parler. Quelle tentative vous a le plus surpris?
RK: La tentative la plus surprenante a été celle impliquant Faisal Shahzad. Cet individu a roulé dans Times Square le 1er mai, 2010, au volant d’une voiture chargée d’explosifs et a tenté de tout faire sauter. L’explosion n’a pas eu lieu, dû au fait qu’il avait changé la formule qu’on lui avait remis au Pakistan. Cependant, ça n’a pas été faute d’essayer. Bien que très fiers d’avoir eu connaissance de personnes ayant eu l’intention de blesser des Américains, aucune agence fédérale ou locale, n’avait eu vent de Shahzad avant ce jour. Nous avons eu énormément de chance que la bombe n’ait pas explosé et qu’il ait pu être arrêté lors de sa tentative de fuite deux jours plus tard.
AT: Vous avez également travaillé pour les douanes américaines pendant quelques années, et à ce titre, été partie prenante de l’Opération Casablanca. Quelle stratégie avez-vous adopté pour démanteler l’un des plus gros cartels de blanchiment de trafic de stupéfiants?
RK: Le département des douanes ainsi que d’autres agences d’investigations aux Etats-Unis ont eu recours à des agents doubles très talentueux pour procéder à des arrestations et à des condamnations significatives dans ce cas précis. Casablanca a mis à jour l’étendue du blanchiment d’argent dans les affaires de drogues en gros et a fait la lumière sur la complexité de ces opérations. Ce mode opératoire a été réutilisé par les douanes et autres administrations dans le cadre d’enquêtes sur le blanchiment d’argent par la suite.
AT: Vous avez passé presque toute votre carrière dans divers rôles de leader. Quel est le secret d’un chef de file performant?
RK: Avoir de l’empathie pour ceux que vous dirigez. L’un des éléments qui compte, dans ce cas, c’est le fait d’avoir été à la place de vos subordonnés. Cela vous permet d’évaluer les conséquences de vos décisions sur le monde réel. Le monde des forces de l’ordre et le monde militaire sont deux univers où cela est particulièrement important.
AT: Vous détenez plusieurs titres universitaires, tels que ceux de la St. John’s University School of Law et de la Kennedy School of Government de l’université d’Harvard, pour ne citer qu’eux. Quel impact l’éducation a- t-elle sur votre carrière professionnelle?
RK: L’éducation est la fondation dont nous avons grandement besoin pour toute carrière ou profession à l’heure actuelle. Et il est important de continuer à apprendre tout au long de la vie. Il paraît qu’une formation devient obsolète au bout de cinq ans. Par conséquent, nous devons tous chercher à continuer à nous développer si nous voulons être des membres productifs de la société.
AT: Ces derniers temps, des départements de police reçoivent une attention plus soutenue sur leur façon de faire leur travail. Quel conseil donneriez-vous aux civils et aux officiers de police pour gérer cette surveillance?
RK: La généralisation des caméras des téléphones portables signifie que tout ce que fait la police peut, potentiellement, être filmé maintenant par les civils qu’elle protège. Les officiers de police doivent être conscients de cela et doivent toujours chercher à agir comme si leurs actions pouvaient être filmées et diffusées à travers le monde entier. En réponse à cela, je pense qu’il est maintenant temps que les officiers de police eux-mêmes soient équipés de caméras portables. Ceci afin d’être sur un pied d’égalité lorsqu’il s’agit de montrer des vidéos d’un événement. Cela permettra également d’augmenter la confiance qui existe entre les civils et leur police.
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